Quand Oświęcim devient Auschwitz ...
Vous avez certainement entendu parler d’Auschwitz. Vous l’avez sans doute étudié en cours
d’Histoire.
Vous situez bien ce lieu à part; vous visualisez les rails, la grande porte, les baraques, les
barbelés, les miradors… le train. Les gens qui en descendent, les cris, les uniformes...
Oui, vous n’y êtes jamais y allés, mais ce nom vous est familier.
Pour moi c’était pareil, jusqu’au 19 novembre 2014.
La prof d’Histoire avait inscrit la classe pour pouvoir aller visiter le camp d’Auschwitz. Elle avait
précisé : “seulement 18 élèves de première seront sélectionnés sur lettre de motivation, 9 pour
votre classe.”
J’ai été choisie pour partir et témoigner.
Mercredi : on part visiter le Mémorial de la Shoah, un musée dédié au génocide Juif.
C’est aussi bien un lieu de mémoire que d’Histoire. La guide explique la particularité de ce lieu,
ses symboles, son histoire mais aussi celle des 74 000 déportés Juifs français. Devant l’entrée
du Mémorial un mur est érigé : 74 000 noms y sont gravés. On peut lire des dates de
naissances. On fait vite le calcul. Parfois 5 noms à la suite, une famille entière.
On entre. On découvre une maquette du Ghetto de Varsovie. On descend vers le musée. Les
affiches de propagandes courent sur les murs, certaines sont destinées aux enfants pour qu’ils
puissent “reconnaître et dénoncer le Juif”.
En fin d’après-midi, on a rendez vous avec Yvette Lévy. C’est une rescapée, elle fait partie des
rares personnes qui ont survécu. Survécu à “l’horreur”, à l’enfer. Elle commence par nous
raconter son enfance à Paris, comment sa famille a essayé de fuir les Allemands. La vie qu’ils
menaient sous la menace, mais quelle menace ? Se cacher de quoi ? Comme tout le monde,
elle n’en savait rien.
Le 6 juin 1944, les alliés débarquent, “On y a cru” dit Yvette. Le 31 juillet, elle est déportée. A 17
ans, Yvette fait partie des 13 000 personnes du convoi. Le dernier qui est parti de Drancy. Avec
elle des bébés, des vieillards. Ils arrivent le 3 août à Auschwitz-Birkenau. Le 28 août Paris est
libéré.
Au camps, par chance, s’il on peut dire, elle est sélectionnée. Etre sélectionné, c’est ne pas aller
à la mort tout de suite, c’est le sursis. Ici commence la déshumanisation… Cela veut
simplement dire : ne plus rien signifier. Yvette est désinfectée, rasée, tatouée. 156 trous avec
une aiguille à tricoter. Comme elle fait partie des derniers convois, elle reçoit les
vêtements des gazés. Yvette reste 3 mois en quarantaine à Auschwitz, du 3 août au 27
octobre. Elle est ensuite envoyée dans les Sudettes, pour travailler dans une usine d’armement.
Elle y passe 7 mois, jusqu’au 7 mai 1945.
S’ensuit une longue traversée de l’Europe. Elle mettra 15 jours à rentrer en France, à pied, en
train. Toujours sans rien, accompagnée de ses “camarades” comme elle les appelle, ces
femmes avec qui elle aura vécu l’enfer.
Lorsqu’elle arrive enfin en France, à l’hôtel Lutetia, le gouvernement lui offre généreusement
1 000 francs et 1 ticket de métro. Sa mère ne la reconnaît pas, elle ne reconnaît pas sa mère.
Aujourd’hui Yvette témoigne, elle raconte. Mais plusieurs de ses amies qui ont vécu la
même horreur n’arrivent pas à parler. “On n'en parlait qu’entre nous” “Comme on n'y croyait pas,
on se taisait.”
Yvette Lévy a été déportée à l’âge de 17 ans, elle est restée prisonnière pendant 10 mois.
Une semaine plus tard nous sommes partis en Pologne. En une journée nous avons
visité le camp d’Auschwitz-Birkenau et celui d’Auschwitz 1.
Nous avons vu les lieux. Là où Yvette Lévy est passée, là où Simone Veil et tant d’autres que
nous ne connaissons pas sont passés. Les hommes et les femmes entassés dans leur
poulailler. Un repas de seulement 1 200 calories par jour. Leur espérance de vie était de 3 mois
à dater de leur entrée au camps.
On voit les Krematorium. Ou du moins ce qu’il en reste, tout à été dynamité. Ne pas laisser de
preuves, garder le secret…. Tout se passe dans la forêt. Les chambres à gaz sont cachées par
les bouleaux.
Le scénario mis en place par les Nazis était rôdé. “Vous déménagez vers l’est de l’Europe,
prenez une valise avec des pulls, des casseroles, ce dont vous avez besoin pour vivre.” En
arrivant sur la Juden Ramp: “Ceux qui sont fatigués, venez par ici. Vous allez vous doucher. “
“Vous pouvez vous déshabiller. Retenez bien votre numéro de porte manteau pour récupérer
vos affaires ensuite.” Ils ne récupéreront rien. Trente minutes plus tard, ils seront morts. Réduits en
cendre.
L’assassinat était propre, pas cher et économique. Tout était réutilisé. 7 tonnes de cheveux
récoltés pour faire des toile de crins, des matelas, des couvertures. Les dents en or et les bijoux
sont fondus en lingots. Les vêtements sont renvoyés dans le Reich allemand, offerts aux plus
démunis.
Je vous ai fait une description froide et réaliste des faits : sur place j’ai vu les fours
crématoires, les baraques, les wagons, tout ce qui a été utilisé.
Ce que j’ai découvert, c’est une usine. Une usine de la mort. Tout était organisé, prévu,
maîtrisé. Les mots nous manquent… De la rage, de la colère, de l’incompréhension... Alors
j’imagine... Ce qui m’a frappée le plus, ce que je n’arrive pas à digérer... c’est l’organisation, le
scénario. TOUT A ETE PLANIFIE. A part bien sûr, la défaite. Les Nazis pensaient pouvoir
arriver à exterminer les Juifs, à les faire disparaître de la surface de la Terre. 90% des Juifs de
Pologne ont été assasinés, en quelques années. Comment un homme peut-il infliger de telles
souffrances ? Comment fait-il pour regarder mourir à petit feu ses semblables ? Je ne veux pas
imaginer la haine qu’il faut ressentir pour arriver à ça. C’est la part la plus sombre de l’Homme.
Mais c’est à nous, aujourd’hui, qu’incombe la responsabilité de ne pas répéter les
erreurs commises, de respecter, d’aimer. C’est à nous, adolescents du XXIe siècle, de laisser
derrière nous les massacres et la haine. Mais il ne faut pas oublier. Il faut préserver la mémoire,
pour que ces enfants, ces femmes et ces hommes ne soient pas mort pour rien, ils nous
laissent le pire exemple de ce que l’Homme peut faire. A nous de ne pas les oublier.